SÉRIE (3/4). A la fin de l’année 1991, plus les six mois après la disparition de Marie-Hélène Audoye, le témoignage d’une commerçante de Juan-les-Pins de orienter les arpenteurs sur une nouvelle piste, très éloignée de celles explorées jusqu’à Donc.
Notre série sur l’affaire Marie-Hélène Audoye
- 1. La personne disparue de la Côte d’Azur
- 2. Le fiancé et les faux indices
- 3. L’impasse du réseau de la prostitution
- 4. L’amant jaloux, cible finale de l’enquête
La fin de 1991 approche. Marie-Hélène Audoye est portée disparue depuis plus de six mois maintenant. A Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes), un commerçant gérant d’une boutique de prêt-à-porter est tombé sur une affiche de l’affiche recherchée. Un des livres que la mère des disparus a mis partout où elle le pouvait. Le commerçant a un flash. Elle est convaincue qu’elle avait la jeune femme de 22 ans comme client à la fin du mois de juillet. C’est-à-dire deux mois après sa disparition, le 21 mai 1991.
Le commerçant appelle le numéro de téléphone sur l’affiche recherchée et trouve Annie Audoye. La mère de Marie-Hélène prévient aussitôt les enquêteurs de la PJ de Nice. Quelques jours plus tard, la vendeuse passe une audition. Son témoignage est incroyablement précis.
Elle raconte que le 31 juillet, vers 22 h 45, un homme est entré dans le magasin avec deux jeunes femmes au bras, dont l’une était certainement Marie-Hélène. Une belle brune dans une robe moulante noire. La vendeuse se souvient également du regard absent de la jeune fille, comme si elle avait été droguée. Elle rapporte un autre détail. En l’accompagnant pour un essayage dans la cabine, elle a remarqué une brûlure au-dessus du sein gauche de sa cliente.
L’homme dans le 4×4
Ces clients nocturnes l’ont visiblement attirée. L’homme ressemble à un proxénète. Il a un accent et s’adresse à la jeune brune en l’appelant “Marie” ou “ma petite salope”. Il finit par sortir sa carte bancaire et lui achète une robe rose et kaki pour une somme de 2000 francs à l’époque.
«Cerise sur le gâteau» de ce témoignage providentiel, la vendeuse remet même le reçu qu’elle a conservé avec le numéro de la carte bancaire dessus. Elle décide en disant aux policiers qu’elle a revu le même homme quelques jours plus tard dans son magasin de Juan-les-Pins. Elle a même noté le modèle et la plaque d’immatriculation de son 4×4. Un modèle rare.
Les enquêteurs trouvent le propriétaire, un certain Claude. Cet homme est un paria qui vit des tâches ménagères et qui a eu des problèmes avec la justice. Pas tout à fait la carrure d’un proxénète. Mais lorsque les policiers offrent sa photo de leurs archives à la vendeuse de Juan-les-Pins, cette dernière est catégorique: c’est lui qui est venu dans sa boutique au bras de Marie-Hélène en juillet. Cependant, il n’est pas le propriétaire de la carte de débit utilisée pour payer.
Trottoirs de Hambourg
Le titulaire de cette carte est un certain Daniel Messinger. Un nom qui sent déjà le soufre dans les couloirs de la PJ de Nice. Ce Suisse d’une cinquantaine d’années qui vit sur la Côte d’Azur est officiellement un “promoteur artistique”. Mais ses petites annonces dans les journaux gratuits pour recruter de jeunes mannequins pour les photos cache des activités plus opaques.
Marie-Hélène est-elle tombée dans un réseau qui va des photos de charme aux films pornos? Pire encore, cela pourrait-il être entre les mains de souteneurs? La piste s’épaissit. Côte d’Azur, boîtes de nuit, belle fille: les policiers pensent avoir débranché la fiche.

En avril 1992, ils ont même fait le voyage en Allemagne, à Hambourg. À partir d’un témoignage, ils creusent la trace de la présence de Marie-Hélène sur les trottoirs des quartiers chauds de la ville portuaire. Les policiers français y passent quelques jours, mais rien ne les conduit sur les traces de la jeune femme.
En 1993, ils mettent enfin la main sur Claude, “l’homme en 4×4” qui aurait été vu avec Marie-Hélène dans la boutique de Juan-les-Pins. Le suspect nie et assure ne pas comprendre les questions de la police. Néanmoins, il a été inculpé et placé en détention provisoire. Il est resté derrière les barreaux pendant deux mois avant d’être libéré. La piste de l’homme dans le 4×4 s’effondre.
Une Suisse soufrée
Mais les chercheurs insistent. La cible est désormais Daniel Messinger, l’énigmatique Suisse. La personne dont la carte bancaire a payé la jupe kaki et rose dans le magasin de Juan-les-Pins. Avec les éléments collectés au fil des mois, la police a commencé à «acheter des cookies». En 1985, cet homme a fait l’objet d’une plainte pour “enlèvement”, après quoi il a été entendu dans une autre affaire pour “viol” et “détournement de fonds d’un mineur”.
Sur la Côte d’Azur, le quinquagénaire ouvre la voie et possède plusieurs propriétés dont la «villa blanche» à Vallauris et une autre à Saint-Raphaël (Var). Ce noctambule visite de nombreuses boîtes de nuit, dont l’Opéra de Cannes. Une boîte de nuit que Marie-Hélène fréquentait souvent avant sa disparition.
Un témoignage effrayant est inscrit au dossier. Celui d’un jeune champion de snowboard. Cette jeune femme raconte comment elle a été approchée dans une boîte de nuit en 1989 par un homme qui correspond au rapport de Daniel Messinger. Elle a été invitée à la “villa blanche” et prétend avoir été droguée et emprisonnée pendant plusieurs jours. Elle finira par s’éloigner de la propriété à moitié nue avant d’être prise en charge par un taxi. Traumatisée par cette expérience, elle n’a jamais porté plainte. Mais avec son témoignage, la police pense resserrer encore plus le piège autour du promoteur suisse soufré.
Le 1er juin 1994, plus de trois ans après la disparition de Marie-Hélène, Daniel Messinger est arrêté dans l’une de ses villas à Saint-Raphaël. Puis inculpé et incarcéré. Tout ce qu’il reconnaît, c’est que c’est lui qui a acheté cette célèbre robe à Juan-les-Pins un soir de juillet 1991. Mais il nie avec véhémence que la jeune fille qui l’accompagnait ce soir-là puisse être Marie-Hélène. Cette fois aussi, le juge d’instruction suit l’intuition de la police. Daniel Messinger est accusé de l’enlèvement et de la saisie de Marie-Hélène Audoye et est incarcéré.
“Marie”, le coup de grâce
À première vue, la question semble liée. D’autant plus que l’arrestation de l’homme d’affaires suisse est devenue publique. Les langues se relâchent et plusieurs jeunes femmes racontent comment en répondant aux petites annonces elles se sont retrouvées dans un studio photo niçois où le côté artistique du service n’est pas clair. En septembre, Daniel Messinger a été inculpé de proxénétisme en plus de l’enlèvement de Marie-Hélène. Mais du fond de sa cellule, l’homme d’affaires clame son innocence et demande sa libération à plusieurs reprises.
Les semaines passent et les preuves font défaut. Certes, le profil de Daniel Messinger soulève des questions, mais il n’y a pas de début de preuve le liant à Marie-Hélène et encore moins à sa disparition. Le juge d’instruction a des doutes. Le coup de grâce tombe à la fin de 1994, lorsque des avocats suisses mettent la main sur la célèbre femme qui le rejoint dans le magasin de Juan-les-Pins en juillet 1991. Cette «Marie» est entendue par la police. Oui, elle le confirme, elle allait bien avec Messinger ce soir-là et c’est à elle qu’il a acheté cette robe.
La structure fragile s’effrite. En décembre 1994, six mois après y être entré, Daniel Messinger a été libéré de prison. Il est toujours accusé de l’enlèvement de Marie-Hélène, mais tout le monde comprend que la piste s’est refroidie. Qu’il est même gelé. Les Suisses quittent la France pour la Thaïlande quelques années plus tard. Nous ne le reverrons plus. L’enquête recommence à zéro.
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Ref. : leparisien.fr