SÉRIE (1/4). Il y a 30 ans, un vendeur de produits pharmaceutiques de 22 ans a disparu entre Monaco, Cagnes-sur-Mer et la route de Briançon. Une mystérieuse disparition: la police judiciaire et la gendarmerie y vont se casser les dents. Plongez dans les milliers de pages d’une enquête non résolue.
Notre série sur l’affaire Marie-Hélène Audoye
- 1. La personne disparue de la Côte d’Azur
- 2. Le fiancé et les faux indices
- 3. L’impasse du réseau de la prostitution
- 4. L’amant jaloux, cible finale de l’enquête
Le sable. Chaises longues. Mer Méditerranée. Ce n’est pas encore l’été sur la Côte d’Azur, mais en ce week-end de Pentecôte 1991, la carte postale est déjà belle. Le festival bat son plein sur la Croisette à Cannes. La parade des stars: des Français, comme Emmanuelle Béart pour ‘La Belle Noiseuse’ de Jacques Rivette ou Jacques Dutronc en smoking qui a présenté le ‘Van Gogh’ de Maurice Pialat, des Américains comme Robert De Niro mais surtout Madonna, qui prend les marches du Palais des festivals pour la projection de “In Bed with Madonna”.
Loin de l’agitation, Marie-Hélène Audoye profite du soleil sur une plage privée à Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes). Elle a 22 ans. La Côte d’Azur, elle y est née, elle y a grandi. Il y a ses habitudes. Allongée sur le sable ou allongée sur un ponton, la belle jeune femme aux longs cheveux bruns et aux yeux verts perçants attire souvent le regard.

Marie-Hélène a des amis avec qui elle aime faire la fête à l’Opéra, dans une boîte de nuit à Cannes ou dans d’autres établissements. La Côte d’Azur n’en manque pas. Elle devrait être heureuse et insouciante. Surtout parce qu’elle est amoureuse. Son nom est Steven, il a 23 ans. Un flirt au lycée s’est transformé en une histoire sérieuse. Sérieux mais compliqué.
Un triangle amoureux
Et le samedi 18 mai 1991, Marie-Hélène s’est posée des questions sur la plage de Juan-les-Pins. Sa relation avec Steven est plus agitée que la mer mourant presque silencieusement sur le sable. Elle connaît son infidélité. Le dernier s’appelle Gunilla. Elle est aussi blonde que Marie-Hélène est brune. Gunilla est suédoise, mannequin et vit avec une joueuse de tennis professionnelle française. Aussi un peu actrice, même si elle était son rôle phare, elle l’a joué dans une publicité pour biscottes.
Gunilla est venue sur la côte pour le festival et peut-être un peu pour trouver Steven, son amant. Ils ont passé une nuit ensemble. Marie-Hélène le sait. Le lendemain, elle s’est même retrouvée dans une boîte de nuit avec son copain et la jeune Suédoise.
Un triangle amoureux qui tend les relations entre Marie-Hélène et Steven. Et cela fait échouer leur relation. Elle cherche du «sérieux», vacille-t-il. Ils vivent ensemble depuis quelques semaines dans un appartement à Cagnes-sur-Mer, dans la résidence du Lido, où il partage le loyer. Cet appartement de quatre pièces sur le boulevard de la Plage est juste un peu trop grand et trop luxueux pour eux. Marie-Hélène a débuté sa profession en tant que représentante de produits pharmaceutiques, suivant les traces de son père, et Steven était représentant commercial dans une agence immobilière.
Séparations et rapprochements
La fin du mois est difficile et le jeune homme vit bien au-dessus de ses moyens. Toujours. Restaurants, discothèques, achat d’une BMW, «bling-bling» n’est pas encore une expression à la mode, mais c’est un pionnier. Lui qui a grandi au milieu d’une enfance argentée, sinon parfaitement dorée, finance ses dépenses grâce à la générosité d’Evelyne, une femme de treize ans son aînée et dont il était l’employé dans une agence immobilière. Steven est un peu comme le gigolo d’Evelyne. Il bénéficie de sa générosité et elle de sa jeunesse et de son charme. Un autre “atout” dans son jeu de séduction.
Gunilla, Évelyne… Pourtant, Marie-Hélène aime toujours Steven. Ils sont comme deux aimants. Des pôles opposés qui attirent. Ils ont rencontré des lycéens, se sont séparés et se sont réunis à Londres en 1989, lorsque la jeune femme est partie pour perfectionner son anglais et a trouvé un emploi chez Harrods, le grand magasin de Londres. Le couple vivait ensemble de l’autre côté de la Manche. Encore un divorce, puis une autre réconciliation à leur retour sur la côte, jusqu’à ce qu’ils s’installent à Cagnes-sur-Mer.
Le 20 mai 1991, lundi de Pentecôte, Steven et Marie-Hélène sont allés sans le vouloir passer leur dernière soirée et leur dernière nuit ensemble. Le lendemain matin, la jeune représentante prévoyait de partir en tournée commerciale de plusieurs jours: d’abord à Monaco, puis dans les Hautes-Alpes, à Gap et Briançon. Elle n’est pas très contente à l’idée de laisser son compagnon à Cagnes avec Gunilla à proximité, mais cette “pause” peut s’avérer bénéfique au final. La distance fournit souvent une réflexion.
«Je serai de retour la semaine prochaine. Baisers. Marie-Hélène “
Mardi 21 mai. À 8 h 46, Marie-Hélène a rempli son R5 commercial d’essence dans une station-service près de chez elle. Elle ne prend pas tout de suite la direction de Monaco et fait demi-tour, car à 9 h 52 elle appelle depuis le poste fixe de son appartement à l’un de ses amis. Steven n’est plus dans l’appartement. Il est allé travailler dans une agence immobilière à Nice, où son patron affirme l’avoir vu vers 8h30 du matin pour le rendez-vous hebdomadaire des commerciaux qui, comme toujours, il est arrivé en retard, comme le souligne son employeur.
Marie-Hélène était en Principauté de Monaco vers 11 heures. Deux témoins, un pharmacien et un de ses assistants, la consultent. Elle est venue présenter des produits ainsi que percevoir le paiement d’une commande précédente. Mais son «enveloppe» n’est pas prête et le pharmacien demande à Marie-Hélène de revenir plus tard. Pendant ce temps, elle rend visite à un autre client sur le Rocher avant de retourner à la première pharmacie. Son enveloppe n’est pas encore prête, elle décide de partir, laissant un mot sur une feuille de papier sur le bureau du pharmacien: «Je reviens la semaine prochaine». Baisers. Marie-Hélène ».

A ce moment, Marie-Hélène prendrait la route de Briançon. En 1991, il n’y avait pas de caméra de vidéosurveillance dans les rues de Monaco qui en sont maintenant pleines, pas de téléphone portable pour «limiter» la jeune fille et ses mouvements. Le ciel est bleu ce jour-là et pourtant c’est comme si un épais brouillard venait de s’abattre sur Marie-Hélène et sa voiture.
Parents concernés
Les heures passent. Au départ sans soucis pour ses proches, car la jeune représentante est en tournée. L’heure n’est pas aux textos compulsifs ou aux réseaux sociaux … Mais mercredi soir, c’est-à-dire un peu plus de vingt-quatre heures plus tard, Steven reçoit un message sur le répondeur de l’appartement. C’est la patronne de Marie-Hélène qui craint de ne pas avoir de ses nouvelles. Steven décide de contacter les parents de son fiancé. Mais dans l’appartement familial à Antibes, ni sa mère ni son père n’ont reçu un coup de fil. Très vite Annie, la mère, jette ses filets. Elle a appelé à plusieurs reprises des hôtels où Marie-Hélène aurait pu passer la nuit dans les Hautes-Alpes. Mais personne n’a vu sa fille. Silence total.
Les heures passent, les jours aussi. La semaine touche à sa fin et Marie-Hélène ne revient pas de sa tournée. Son père a ensuite emmené sa mère aux commissariats d’Antibes et de Cagnes-sur-Mer. Leur fille est majeure. Comme c’est souvent le cas, les policiers prennent le rapport, remplissent un formulaire de recherche «pour le bien de la famille», mais n’engagent pas une véritable enquête. Un simple “télex”, comme on disait à l’époque: “Il faut chercher Marie-Hélène Audoye, 22 ans, cheveux châtains longs et raides, 1,67 m de long et 55 kg …” C’est le cas des disparitions d’adultes.
En l’absence d’éléments inquiétants comme la découverte de sa voiture ou d’éventuelles traces de sang, l’hypothèse d’une disparition volontaire ou d’un fugue romantique est privilégiée. Mais rien ne colle à ses proches. Marie-Hélène traverse certainement une période difficile dans son mariage, mais ce n’est pas un secret. Pas du genre à s’isoler. Préférez une fille qui parle à ses amis de ses malheurs sentimentaux, tout en se trompant parfois. Ne montrer aucun signe de vie à ses parents ou amis ne lui ressemble pas du tout.
Un accident de voiture ?
Parce que les policiers ne regardent pas vraiment, Annie et Jacques, les parents de Marie-Hélène, décident de passer à l’action. La peur lancinante des premiers jours a cédé la place à une forme de peur. Et si Marie-Hélène avait eu un accident de voiture? La route Napoléon qu’il a dû emprunter est sinueuse et dangereuse par endroits. Ils se lancent donc dans une recherche approfondie. Des portraits de Marie-Hélène sont imprimés et diffusés dans la région, la presse locale est sensibilisée.
Annie et Jacques continuent avec des amis avec une grille de la région: au sol nous répétons le parcours en voiture. Chaque coin est scruté: les marques de dérapage, les mains courantes endommagées, le kilométrage sont évalués comme ça. Jacques, le père, est un montagnard. Il descend en rappel au fond de ravins profonds. Toujours dans les airs, les parents de Marie-Hélène déploient d’énormes ressources en louant trois hélicoptères destinés à survoler les centaines d’hectares sauvages et accidentés de l’arrière-pays niçois le long du chemin de Napoléon. Mais rien ne permet de retrouver la trace de la R5 blanche et de leur fille. A Nice, ils traversent tous les parkings extérieurs et souterrains, toujours pour trouver le R5 blanc. Rien. La piste de la disparition volontaire se rétrécit et celle de l’accident devient également de moins en moins crédible.
Le 3 juin 1991, deux semaines après la dernière trace de la vie de Marie-Hélène, le parquet de Grasse doit faire face aux faits. La disparition de la jeune femme est “alarmante”. Ses comptes bancaires ne se sont pas effondrés. Une enquête préliminaire est ouverte. Une belle police judiciaire est saisie.
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Ref. : leparisien.fr